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Le Secrétariat Social de Marseille (1903-2010)
Un siècle de catholicisme social en Provence
Série de 11 articles publiés dans « Eglise à Marseille » en 2012-201I
par François de Bez et Gérard de Belsunce
1-Le classement des archives d’Etienne Estrangin
À partir des archives d’Etienne Estrangin et du livre sur le Secrétariat social de Marseille1, Eglise à Marseille publiera, dans les mois qui viennent, une série d’articles sur un siècle de catholicisme social en Provence.
La création d’un fonds
Au cours des premières années de fonctionnement de la fédération, Etienne Estrangin a constitué des dossiers de travail bien organisés, le plus souvent pliés et attachés en liasses portants titres et dates, rendant ainsi plus facile le travail ultérieur d’archivage. La même méthode de classement a été conservée, organisant le fonds2 en quatre thèmes : les premières tentatives de constitution d’une union régionale, la création de la Fédération des Alpes de Provence (FAP), les relations avec les autres groupes et associations, enfin les publications avec la collection du Petit Éclaireur. L’écriture fine d’Etienne Estrangin et le nombre conséquent de petites notes presque illisibles, n’ont pas rendu la tâche facile ! La participation active de François de Bez et Gérard de Belsunce et leur connaissance de l’histoire des catholiques sociaux de notre diocèse ont permis de terminer rapidement le classement. Coauteurs de l’étude Le Secrétariat social de Marseille (1903-2010), un siècle de catholicisme social en Provence, ils ont apporté une contribution précieuse à la compréhension des brouillons et notes laissés par Etienne Estrangin.
Le mouvement social à Marseille
Les documents, d’un bon état général de conservation, ont été conditionnés en huit boîtes d’archives couvrant un période comprise entre 1893 et 1964. Plus de la moitié du fonds se rapporte aux années 1902-1910, c’est-à-dire à la création et aux premières années de fonctionnement de la Fédération des Alpes de Provence et du Secrétariat social, à l’époque où le diocèse de Marseille connaissait un fort développement des cercles d’ouvriers. En 1902, ils regroupaient près de trois cent membres, acteurs d’un « apostolat actif et intelligent » qui conduisait à « l’amélioration de l’individu ». 3
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1 François de Bez et Gérard de Belsunce, Le Secrétariat social de Marseille (1903-2010), La Thune, 2011. En vente à la librairie Saint-Paul.
2 Ensemble de documents constitués par un producteur dans l’exercice de ses activités. Le fonds Estrangin est coté DM 1-113.
3 L’Écho de Notre Dame de la Garde, 19 janv. 1902, n°1053, « Les Cercles ouvriers à l’évêché ».
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Des lettres originales de Maurice Blondel ont été isolées. Professeur de philosophie à l’université d’Aix-en-Provence, « il est véritablement le maître à penser des catholiques qui s’engagent dans l’action sociale »4. Cette correspondance porte sur le Petit Eclaireur, sur la mise en place de la correspondance circulante, Le Sillon, l’autonomie des laïcs et la création d’un parti catholique. Le fonds compte également de nombreux échanges épistolaires avec Louis Coirard et Paul Mélizan, ainsi que des documents plus généraux sur les syndicats agricoles. La collection du journal Le Petit Eclaireur complète ces archives et rend compte de l’action sociale en Provence.
Les archives d’Etienne Estrangin apportent un éclairage nouveau à l’étude du mouvement social à Marseille, renforcé par la création de diverses unions et associations. On y distingue l’Union provençale des catholiques sociaux, fondée par la FAP pour répondre à l’appel des Semaines sociales de France 5. L’Union d’études des catholiques sociaux est formée dans le but d’études doctrinales et la mise en
œuvre des idées sociales catholiques.
La Fédération des secrétariats sociaux, au large champ d’activité, est créée pour éduquer l’opinion publique par des conférences, des sessions d’études, des campagnes de presse, des tracts, l’ouverture de salles de lecture, la mise en place d’un sursalaire familial, le développement du syndicalisme chrétien et l’application des lois qui favorisent l’enseignement professionnel.
Natacha Tourseiller Archiviste diocésaine
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4 François de Bez et Gérard de Belsunce, op. cit, p.80.
5 Archives diocésaines de Marseille, Fonds E. Estrangin, 23DM43.
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Les archives du Centre Chrétien de Réflexion-Secrétariat Social-
L’association Secrétariat social – Centre Chrétien de Réflexion (CCR) a fait don d’une partie de ses archives aux Archives diocésaines de Marseille. Comment ces archives ont-elles été traitées ?
Le CCR a pour objectif de faire progresser la réflexion sur les questions de société à la lumière de l’Évangile et de la concrétiser par des diagnostics et des propositions pour l’action. Il est la seule antenne locale des Semaines Sociales de France dans la Province ecclésiastique de Marseille. Il contribue au débat public par la promotion d’un humanisme chrétien.
Le choix d’un don s’inscrit dans le cadre d’une démarche patrimoniale. C’est le fruit d’un cheminement intellectuel fondé sur la mémoire de l’association, la conservation et la promotion de ses actions. C’est dans cet esprit et à la suite du classement des archives d’Etienne Estrangin6 en 2012 que les membres du CCR ont fait don aux Archives diocésaines d’une partie des documents de l’association.
Le classement a été réalisé selon le respect du fonctionnement de l’association. En premier lieu ont été regroupés tout ce qui a trait à son administration générale, les documents concernant la création, les statuts, les assemblées générales, le conseil d’administration, les réunions du bureau et les adhérents. Puis les documents concernant les activités propres à l’association ont été rassemblés. Ils sont riches et nombreux. Ils rendent compte de l’activité associative par l’organisation de rencontres et de débats : les travaux du CCR dans le cadre de la préparation des Semaines sociales de France, « les matins du CCR » rencontres ouvertes à tous et qui engagent la réflexion sur la doctrine sociale de l’Église.
Une partie documentaire regroupe les périodiques de l’union régionale l’Association catholique de la jeunesse française, fondée par Albert de Mun en 1886 et dont la JOC sera plus tard l’une des branches. On y trouve également quelques numéros du « Bulletin de la jeunesse catholique de Provence » et du « Bulletin de Provence », organes mensuels dont l’administration régionale était installée à Marseille, rue Grignan. À cela s’ajoutent des numéros des « Cahiers du Témoignage Chrétien » pour les années 1941 à 1943.
Les documents ont été triés et classés pour être conservés et communiqués aux chercheurs et historiens. Peu de documents sont antérieurs à 1985. La majeure partie du fonds couvre les présidences d’Élisabeth Allemand, Jean-Marie Chabert et François de Bez. Cette lacune est comblée par la publication du livre de Gérard de Belsunce et François de Bez.
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Un répertoire numérique sera ultérieurement diffusé sur le site Internet du CCR7. Il complètera la base documentaire déjà disponible. Celle-ci regroupe l’ensemble des documents produits par le CCR entre 2008 et 2013.
Pour terminer cette rapide description du fonds, il est intéressant de noter que le Président du CCR a complété le don des archives de l’association par des documents relatifs à « Semaine Provence », hebdomadaire catholique d’information né de la fusion de « Semailles » et de
« La Voix de Provence » et dont l’histoire est intimement liée à celle du Secrétariat social.
Le transfert aux Archives diocésaine assurera la sauvegarde des activités de l’association. Si ces archives sont sa mémoire vive, l’intérêt historique actuel et futur est évident. Mais les archives ecclésiastiques ont aussi et d’abord un intérêt pastoral. Elles témoignent de la féconde activité des catholiques sociaux qui l’animent, cela dans la continuité des membres de la Fédération des cercles d’études des Alpes et de Provence fondé en 1903 et de son centre documentaire, le Secrétariat social.
Les Archives diocésaines comptent désormais un ensemble cohérent sur l’action sociale des catholiques du diocèse, à travers les archives d’Etienne Estrangin classées en 2012, du Secrétariat social et de « Semaine Provence » dont le fonds, en cours de classement, conserve la mémoire des dernières années du Journal.
Natacha Tourseiller
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7 http://secretariatsocialccr.free.fr/
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2-Les précurseurs d’une doctrine sociale catholique en France
Après « Le classement des archives d’Etienne Estrangin », qui inaugurait leur série d’articles sur « Un siècle de catholicisme social en Provence », François de Bez et Gérard de Belsunce présentent les précurseurs d’une doctrine sociale catholique en France, avant d’évoquer ceux qui l’animèrent au plan local.
Au cours du XIXe siècle, la France entre dans l’ère industrielle sur fond de libéralisme exacerbé. La conséquence sociale de ce bouleversement est l’apparition d’une classe ouvrière confrontée à des conditions de travail et de vie très dures et dégradantes : le prolétariat fait son apparition, dont Karl Marx, Jules Guesde et Jean Jaurès particulièrement, dénonceront la misère et le processus qui l’a engendrée. En 1840, Marx publie avec Engels « Le Manifeste du Parti communiste » ; en 1850, ce sera « Les Luttes de classes en France » et en 1867, « Le Capital ».
Une prise de conscience
Les socialistes ne furent pas les seuls, ni sans doute les premiers, à dénoncer cette situation. Certes, la population catholique, dans son ensemble, ne réalisa pas l’ampleur du phénomène. Jusqu’alors, l’Eglise s’était attachée au service des malades, des pauvres, des prisonniers, des enfants abandonnés… s’efforçant de répondre aux situations sociales de proximité les plus défavorables. Elle était engagée dans une action caritative séculaire, indispensable et exemplaire au demeurant, qui mobilisait son énergie.
Des catholiques cependant prirent conscience des problèmes, et aussi des enjeux, de la situation ouvrière, tandis que l’Eglise subissait une violente poussée d’anticléricalisme. Ils vont dénoncer les injustices sociales, les causes de la misère ouvrière qu’il s’agit de compenser et d’éradiquer, sensibiliser les opinions publiques, faire des propositions de lois, créer des mutuelles, des structures syndicales, coopératives et autres… Ils sont les apôtres d’une action sociale dictée par le souci de restaurer et faire reconnaître la dignité de l’homme au travail et de promouvoir la justice sociale : ce sont les inspirateurs – et les acteurs – d’une véritable « doctrine sociale de l’Eglise catholique ».
Des francs-tireurs
Novateurs dans leurs prises de position par rapport aux idées généralement reçues dans leur milieu social, voire en opposition avec lui, ces
« francs-tireurs de la liberté » témoignent, dès le début, de la diversité des « catholiques sociaux » : religieux ou laïcs, gens de toutes origines, de toutes professions. On trouve parmi eux de grands commis de l’État : tel Alban de Villeneuve-Bargemont (1784-1850), préfet, conseiller d’État, puis député, auteur d’un
« Traité d’économie politique chrétienne ». Observateur attentif de la condition ouvrière, il présente, le premier, devant la Chambre française « le problème ouvrier dans toute son ampleur ». Il est l’instigateur d’un projet de loi qui sera présenté en 1841 par Montalembert, et voté, sur la protection au travail des femmes et des enfants.
Un coup d’arrêt
Il y a des intellectuels et des gens de plume, tel Félicité de Lamennais (1782-1854). Il publie un article sur « La démoralisation des travailleurs ». Réunissant autour de lui une élite de catholiques libéraux, il fonde le journal « L’Avenir », qui devient vite « lieu d’expression d’un catholicisme social en gestation ». Y collaborent notamment Henri Lacordaire (1802-1861) et Charles de Montalembert (1810-1870). Leurs propos et leurs ambitions touchent au cadre de l’action sociale plus qu’à la recherche de solutions concrètes à des situations de détresse : ils prônent la liberté d’association, celle de la presse, de l’enseignement, la liberté de conscience. Les critiques dont ils font l’objet les amènent à solliciter de Rome, en 1832, un arbitrage du Pape qui soit favorable à leurs thèses libérales : Grégoire XVI, au contraire, donne un coup d’arrêt (il adoucira plus tard sa position). Lamennais quittera l’Eglise, Lacordaire et Montalembert s’engageront sur le plan politique. Le premier fut pendant une courte période député de gauche à Marseille ; le second créera un « Parti catholique ».
Des praticiens
Parmi les catholiques sociaux se trouvent aussi des praticiens formés au contact des populations en difficulté, aux besoins desquelles il faut répondre concrètement. Patronages, centres de formation, mutuelles, institutions de secours et de prévoyance sont créés pour les jeunes ouvriers, les apprentis, les familles et les invalides. L’un de ces praticiens, Armand de Melun (1807-1877), élu député, sera l’auteur de nombreuses propositions de lois à caractère social.
3-Les précurseurs d’une doctrine sociale catholique en France (suite)
Au XIXe siècle, des catholiques, animés par le souci de restaurer la dignité de l’homme au travail et de promouvoir la justice sociale, furent les inspirateurs et les acteurs d’une véritable « doctrine sociale de l’Eglise ».
Un universitaire passionné d’action marque profondément son temps, et encore le nôtre : Frédéric Ozanam (1813-1853) enseigne d’abord le droit à Lyon, puis les lettres étrangères à Paris. Une double exigence l’anime : « Joindre l’action à la parole, et affirmer par les œuvres la vitalité de la foi », et « Honorer Dieu et l’Etat » en travaillant sans relâche à « l’alliance de la science et de la foi, de l’Eglise et de la liberté ». La première exigence le conduit à fonder en 1835 les « Conférences de Saint-Vincent-de-Paul », qui comptent aujourd’hui quelque 800 000 bénévoles dans 145 pays. La seconde l’amène à développer dans ses cours de droit à l’université et dans le journal « L’Ere nouvelle » une pensée sociale inspirée de la foi chrétienne. Il traite de « la classe des ouvriers », de la notion de « juste salaire », il pose les bases de ce qui pourrait être un droit du travail… Il s’engage sur le plan politique. Mais, le courant de démocratie chrétienne qu’il incarne sera stoppé par la révolution de 1848.
Des militaires venus à la politique
On trouve aussi parmi les catholiques sociaux des militaires venus à la politique, tel René de La Tour du Pin (1834-1924). Adversaire déclaré du libéralisme économique, son idéal tend vers « un ordre social chrétien » régi par un code social et structuré autour d’un système corporatiste valorisant métiers et professions. Il partage une même approche des problèmes sociaux avec Albert de Mun (1841-1914), ancien officier lui aussi, qu’il a connu dans un camp de prisonniers en Allemagne après la défaite de 1870. Là, ils ont pris la mesure du retard de la France par rapport à celle-ci dans le domaine de la législation sociale.
Député, Albert de Mun sera l’auteur de très nombreuses propositions de lois sociales : pour interdire l’emploi des jeunes de moins de dix ans dans les fabriques et le travail de nuit pour les femmes, pour limiter le temps de travail quotidien (14 à 15 heures généralement), pour instaurer un salaire minimum légal, le repos dominical, régir les accidents du travail, les contrats d’apprentissage, les retraites ouvrières… Entre 1883 et 1915, il présentera 26 projets qui seront tous refusés par une majorité associant la gauche, le centre-gauche et le centre-droit. Mais il n’est pas exagéré de dire qu’il fut un initiateur de la législation sociale en France, car beaucoup de ses projets ont été repris après lui. Par ailleurs, Albert de Mun créa, en 1871,
« L’œuvre des cercles catholiques d’ouvriers » (il y en avait douze à Marseille en 1895). Il créa aussi, en 1886, l’Association Catholique de la Jeunesse Française, l’ACJF, véritable creuset pour l’action catholique, qui rassembla à Paris 40 000 jeunes à la Pentecôte 1936 pour son 50e anniversaire.
Des patrons d’industrie
On trouve encore des patrons d’industrie, tel Léon Harmel (1825-1915), propriétaire de la filature du Val-des-Bois près de Reims. Pour lui, « la seule manière de procéder est le bien- être de l’ouvrier et avec lui autant que possible, jamais sans lui, à plus forte raison jamais malgré lui ». Il institue le « Conseil d’usine » pour une concertation régulière « ouvriers/dirigeants ». Il suscite toutes sortes d’initiatives d’entraide et de solidarité (coopératives, mutuelles…) En outre, il organise à Rome, avec ses ouvriers, les pèlerinages annuels de « la France au travail ». Et, il crée les « cercles d’études sociales » (information, formation) qui se répandront en France.
Le pape Léon XIII fera référence à tous ces précurseurs lorsqu’il promulguera, en 1891, l’encyclique « Rerum novarum », véritable acte de naissance de la doctrine sociale de l’Eglise. Il dit s’être inspiré « de l’enseignement de ses prédécesseurs, ainsi que de nombreux documents scientifiques dus à des laïcs, de l’action de mouvements et d’associations catholiques et de réalisations concrètes dans le domaine social qui marquent la vie de l’Eglise dans la seconde moitié du XIXe siècle ».
Nous parlerons plus loin de Marc Sangnier (1873-1950) qui marqua plus récemment le catholicisme social d’une empreinte profonde. Journaliste, il fut surtout un meneur d’hommes, un leader d’opinion, un orateur redouté par ses adversaires, un réalisateur passionné qui acceptait mal la contradiction et peu porté à la conciliation…
A propos d’Etienne Estrangin
Bernard Estrangin, fils d’Etienne Estrangin, auquel était consacré le premier volet de cette série, éclaire pour nous un paragraphe de l’article de Natacha Tourseiller à propos de « ses petites notes presque illisibles ».
« J’ai vu et possède encore beaucoup de ces petites notes. Il les rédigeait le plus souvent la nuit, dans l’obscurité, pour ne pas réveiller notre mère et ne pas laisser échapper ses pensées, sur des bouts de papiers de récupération les plus divers fixés par une pince à linge. » Bernard Estrangin conserve objets et notes, récits de la vie au front et des combats auxquels la Compagnie de Chasseurs alpins que commandait son père prit part pendant la guerre de 14.
4-Marseille au début du XXe siècle
Depuis des siècles, bien avant le choc de l’industrialisation, s’exprimaient de nombreuses formes de « solidarité caritative » : assistance aux pauvres, malades, orphelins, prisonniers, relevant de multiples œuvres, dont certaines perdurent : la Société philanthropique (1789), devenue la Société de bienfaisance et de charité (1846), les compagnies de pénitents, des confréries, les Conférences de Saint-Vincent-de-Paul (1884 à Marseille), des œuvres de jeunesse (J.-J.Allemand, Timon-David, Société marseillaise de patronage), les œuvres de l’abbé Fouque (Hôpital Saint-Joseph, Association Fouque pour enfants et adolescents). Les initiatives prises à Marseille en faveur des plus démunis sont telles qu’au début du XXe siècle, on a pu y dénombrer quelque cent cinquante institutions de bienveillance et de charité et trois cents de prévoyance.
Cependant, ces œuvres ne recouvraient pas l’ensemble des besoins et montraient les limites d’une solidarité simplement caritative. Il fallait l’étendre à une « solidarité ordonnée à la justice sociale». Ce fut le rôle des catholiques sociaux présents sur les deux fronts.
Les conditions de vie de la population ouvrière
Au début du XXᵉ siècle, Marseille compte quelque 500 000 habitants. Sa prospérité est assise sur les activités maritimes qui favorisent le développement industriel : ainsi des industries agricoles et alimentaires (sucres, minoteries, pâtes alimentaires, tanneries) et de l’industrie des oléagineux (huileries et savonneries) qui fait vivre près de cent mille personnes. Le secteur de la construction et de la réparation navales (Marseille, La Ciotat, La Seyne) entraîne l’activité de multiples corps de métiers. Le secteur du bâtiment et des matériaux de construction (briques, tuiles, céramique) croît avec l’augmentation de la population. Marseille comprend une forte proportion d’immigrés, surtout des Italiens (91 000 en 1901, soit 18% des habitants).
Ces derniers sont affectés aux travaux les plus pénibles et connaissent une intégration difficile. La durée du travail est généralement de dix heures par jour et de soixante heures par semaine. On note dans les fabriques l’emploi de nombreux enfants de neuf à treize ans, en particulier dans les briqueteries du bassin de Séon. Les accidents du travail sont fréquents (17 513 en 1917, dont 57 mortels).
La qualité des logements ouvriers est généralement mauvaise. Les quartiers d’habitation à proximité des activités industrielles n’offrent ni eau, ni égouts. Il y a une fontaine plus ou moins éloignée. Les rues, malgré le passage du « torpilleur » municipal, servent de dépotoirs « où tout y va ». Des « californies » (bidonvilles) s’édifient, avec des conséquences au plan de la santé : dans celle qui prolonge le quartier Saint-Charles, sévit une mortalité infantile de 30 à 45%.
Le climat politique, social et religieux
Avec la municipalité Flaissières, dès 1892 et pour dix ans, Marseille est la première ville française à avoir un maire socialiste. Le climat national et local est très anticlérical. Les congrégations religieuses enseignantes sont particulièrement visées : entre 1902 et 1905, une soixantaine doivent quitter Marseille. Le climat social est marqué par des grèves souvent très longues : celle des dockers du 17 août au 13 octobre 1904 concerne plus de 25 000 grévistes. Face à la mauvaise situation ouvrière, certains patrons, la plupart catholiques, ont pris dans leurs propres entreprises des initiatives favorables à la protection sociale et au logement de leurs personnels : Philip Taylor, Armand Béhic, Ernest Biver, Wulfram Puget, Joseph Grandval, Henry Bergasse, Jules Cantini…
Le mouvement syndical se structure peu à peu. En 1879, c’est au Congrès de Marseille que Jules Guesde avait introduit les thèses marxistes au sein du mouvement ouvrier français. La Bourse du travail ouverte à Marseille en 1887 sert de lieu de réunion pour les syndicats ouvriers, autorisés depuis la loi de 1884. La première centrale, la CGT, verra le jour en 1895.
C’est dans ce contexte assez tumultueux que des catholiques vont se mobiliser dans des actions de solidarité inspirées par la recherche de plus de justice sociale, sous l’éclairage de l’Encyclique Rerum novarum de 1891.
5-Les fondateurs du Secrétariat Social
Sur le plan local, se réunissait ainsi à Aix-en-Provence, dans les années 1890, un groupe de jeunes catholiques en vue de « l’étude et de la réflexion pour agir ensuite ». L’animateur était Henri Boissard, ancien magistrat, dont le fils, Adéodat, sera l’un des fondateurs des Semaines sociales de France. Dans le même esprit, le 8 novembre 1903, de jeunes catholiques créent à Marseille la Fédération des cercles d’études des Alpes et de Provence, la FAP. Se voulant aussi gens d’action, ils mettent en place un Secrétariat social, auquel incombe « l’action positive, sociale et économique » et d’ « intervenir comme centre de documentation et d’initiatives, se spécialiser dans l’action sociale et former des spécialistes dans ce domaine ». Qui sont-ils ? Etienne Estrangin (1879-1971), exploitant agricole, secrétaire général de l’Union des syndicats agricoles des Alpes et de Provence, est la cheville ouvrière de la nouvelle organisation. Louis Coirard (1882-1964), avoué à Aix, fut maire d’Aix (1934-35) et trésorier clandestin de la Résistance. Paul Mélizan (1882- 1968) est alors journaliste, avant de fonder l’Institution Mélizan. Il a préféré « faire des hommes que des livres ». Parmi les autres membres de l’équipe : Charles Faivre d’Arcier, industriel à Marseille, Gautier Descottes à Arles, Jules Léon Perrin, notaire à Marseille, et Maurice Blondel, universitaire à Aix, maître à penser du groupe.
Le souci de la communication
Ils lancent d’abord une « enquête territoriale » dans plusieurs centres urbains et communes rurales de la région pour connaître leur terrain d’action et constituer un réseau. Celui-ci s’étend en effet, dans tous les départements. La FAP installe son siège à Marseille, de même que le Secrétariat régional des Secrétariats sociaux, qui essaiment à Aix, Arles, Toulon, Draguignan, Digne, Avignon et Nice. Un journal, Le Petit Eclaireur, est créé en 1905 pour assurer la liaison. Il paraîtra jusqu’en 1913 et reprendra après la guerre. Un autre moyen de contact anticipe les « courriels » d’aujourd’hui : les membres des groupes locaux échangent une « correspondance circulante », où la lettre écrite par l’un d’entre eux sur un sujet donné circule et s’enrichit des idées de chacun. A ces activités internes, s’ajoute l’organisation de « Journées sociales » où s’étudient la doctrine sociale de l’Eglise et des sujets d’actualité sociale. Le Secrétariat social de Marseille organisera la 5e Semaine sociale de France, à Marseille, en 1908.
Des initiatives tous azimuts
Un souci des responsables de la FAP est la formation des militants, pour eux- mêmes et pour porter la contradiction, « la riposte », dans les lieux publics et réunions où l’Eglise est attaquée, car un violent anticléricalisme sévit. D’autres initiatives sont prises par tel ou tel des membres du Secrétariat social : Etienne Estrangin crée de nombreux syndicats communaux, coopératives, mutuelles, caisses locales de crédit… Maurice Estrangin concourt activement à la Fédération gymnastique et sportive des patronages de France – qui comptera quelque 130 000 adhérents en 1913. Joseph Aiguier et Jules Léon Perrin animent « l’Œuvre des jardins de famille », qui installe des jardins-ouvriers à Fondacle (Saint-Julien) et aux Trois-Lucs. L’abbé Bonneville organise les premières colonies de vacances …
Dès l’origine, les catholiques sociaux, « sociaux parce que catholiques », ont essayé de joindre l’étude et la réflexion à l’engagement et à l’action, et de donner une expression concrète à leurs convictions de croyants au service de la société.
6-Maurice Blondel et le Secrétariat Social
Marie-Jeanne Coutagne, docteur en philosophie et présidente de l’Association des amis de Maurice Blondel, évoque la personnalité du philosophe et l’influence qu’il exerça sur l’association naissante.
La Révolution française a laissé de douloureuses traces tout au long du XIXᵉ siècle. Les catholiques déroutés par l’évolution sociale et politique sont fortement tentés de s’opposer violemment aux républicains facilement combatifs contre l’Eglise. Parmi les leaders de ce mouvement de réaction, Charles Maurras (1868-1952) et l’Action française. Écrivain provençal, journaliste célèbre né à Martigues, malgré son agnosticisme et son positivisme militant, il se rapproche peu à peu des catholiques dont il va soutenir certains efforts antirépublicains et antiparlementaires.
Blondel journaliste
Maintes fois, il (Charles Mauras) tente de rencontrer un jeune philosophe, normalien et catholique, qui s’opposera à lui avec détermination : Maurice Blondel, né à Dijon en 1861 et mort à Aix-en- Provence en 1949.
Blondel, dont les racines sont bourguignonnes, s’est installé à Aix à l’occasion de ses nominations universitaires et de liens familiaux. Il entend inscrire sa réflexion au rebours de toute nostalgie réactionnaire et va féconder le catholicisme social qui, peu à peu, se déploie en Provence. En écho aux efforts du pape Léon XIII, Blondel sait qu’il y va de la nécessité de faire rentrer les catholiques dans le jeu politique et social, en séparant la cause catholique de l’Ancien Régime.
Il n’est donc pas étonnant de découvrir la forte influence de Maurice Blondel lors de la création des premières Semaines sociales de France (1904), mais aussi, d’abord, du Secrétariat social de Marseille (1903). Il y fait figure de maître à penser, tout en laissant Etienne Estrangin, Paul Mélizan et Louis Coirard prendre les initiatives nécessaires. Blondel n’hésite pas à se faire lui-même journaliste : il signe des éditoriaux dans Le Petit Éclaireur, et participe à une correspondante « circulante », dont le rôle fédérateur est efficace et fort apprécié !
Foi et raison
Son prestige universitaire et la pertinence vigoureuse de sa pensée apparaissent nécessaires. Il ne cherche nullement à mettre en avant son approche philosophique personnelle, même si elle inspire ses suggestions. Il signe ses articles (comme d’ailleurs, à la même époque, ceux de La Croix de Provence) sous pseudonymes. Par prudence : le débat, alors, au sein du catholicisme est si vif qu’une condamnation est toujours possible, et il s’agit de ne pas entraîner dans l’anathème des collaborateurs dont l’action doit pouvoir se poursuivre. Mais, Blondel, veut ne pas outrepasser sa propre influence. Cette humilité le conduit à signer ses articles : Parvulus. « Vous voyez bien, disait-il avec humour, que je suis le plus petit (de taille) ! » Sur les photographies de groupe, il figure le plus souvent, volontairement, au dernier rang, parfois même en silhouette derrière une fenêtre (voir EAM de février). C’est l’époque où les polémiques avec l’Action française sont les plus virulentes. Contre les positions maurrassiennes, Blondel maintient avec détermination l’articulation nécessaire entre foi et raison. Il dénonce les déviations intellectuelles qui désolidarisent politique et foi, et instrumentalisent finalement la religion au service d’un autoritarisme – et d’un nationalisme – dangereux.
Citoyenneté responsable
De plus, défendre les droits et la liberté imposent d’entrer dans le vif de la question sociale. C’est pourquoi ce qu’il qualifie d’« action religieuse » n’est rien moins qu’une
Action catholique avant la lettre, en parfait écho avec les positions de sa thèse célèbre : « L’Action ». Ainsi, s’il va dans le sens d’un « ralliement » (à la démocratie), ce ne peut être que « dans cet esprit nouveau puisé dans l’Evangile », afin que le chrétien puisse s’affirmer comme « un citoyen responsable ». Son ambition est de ne
jamais « rétrécir les voies de Dieu, ni amputer son cœur ! ».
Louis Coirard, à l’occasion du centenaire de Maurice Blondel(8), a témoigné de ces journées de labeur intellectuel où Blondel éblouissait ses jeunes interlocuteurs marseillais par la profondeur de son effort philosophique, comme par son ouverture aux grandes affaires du monde. La Guerre de Louis Coirard (1882-1964) 1914 interrompit la publication du « Petit Éclaireur » comme de la « circulante », mais ceux qui y participèrent restèrent en étroit contact avec leur maître aixois. Il ne cessera de les encourager et de les soutenir dans leurs engagements qui gardent aujourd’hui tout leur sens.
Marie-Jeanne Coutagne
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(8) Chronique Sociale de France, 15-4-1962, p 99-118
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7-Marc Sangnier et Le Sillon
Après Maurice Blondel, voici retracée l’action d’un homme qui marqua profondément le catholicisme social au cours de XXe siècle. Passionné, vibrant, doté d’une immense force de conviction, Marc Sangnier (1873-1950) fut un entraîneur d’hommes, souvent prophétique.
Marc Sangnier passe quinze ans au collège Stanislas, à Paris, où Blondel enseigne la philosophie. Un groupe de jeunes se réunit dans « la Crypte » pour échanger sur des problèmes de société, dont celui de la condition ouvrière. Ils sont animés par le désir de « faire se rejoindre christianisme, démocratie et science ». Là est créé Le Sillon, à l’origine bulletin culturel bimestriel destiné aux jeunes, qui devient, en 1901, un grand mouvement d’éducation populaire. Les « Instituts d’éducation populaire », mis en place par Sangnier, tiennent leur premier congrès en 1902 avec 75 participants. Regroupés avec d’autres cercles d’études, notamment ceux de l’Association Catholique de la Jeunesse Française (ACJF), ils sont 11 000 en 1909.
Christianisme et démocratie
Les orientations politiques de Sangnier restent fidèles aux options de départ, en accentuant la volonté de « faire coïncider le christianisme avec la démocratie ». L’encyclique Inter sollicitudines de Léon XIII, en 1892, ouvrant aux catholiques de France la possibilité de se rallier à la République, le conforte dans cette voie. Certains estiment qu’il va trop loin, l’accusant même d’être anarchiste ou de trahir les intérêts supérieurs de l’Eglise : ainsi, Maurras et l’Action française, l’ACJF, ou des évêques (quarante d’entre eux interdisent à leurs prêtres d’adhérer au Sillon).
Les jeunes fondateurs de la Fédération des Alpes et de Provence et du Secrétariat Social de Marseille se prononcent pour une double adhésion à l’ACJF et au Sillon, en se tenant sur une certaine réserve.
Le 25 août 1910, le pape Pie X condamne le Sillon : Marc Sangnier se soumet et dissout le mouvement, suivi par quelque 500 000 adhérents. Il ne remettra jamais en cause son obédience à l’autorité pontificale, mais portera « lourdement en lui, comme une croix permanente, son rêve assassiné ».
Engagement politique
Il s’engage alors dans l’action politique : entre 1910 et 1914, c’est la parution du quotidien La Démocratie et la création d’un parti politique, la ligue de « La Jeune République », dont le programme « veut donner une âme à la République » et propose des réformes sociales très concrètes : habitations ouvrières à bon marché, repos hebdomadaire, protection des ouvrières de la confection travaillant à domicile. Il est élu député de Paris en 1920. Il prend part à la fondation du Parti Démocrate Populaire (PDP), ancêtre du Mouvement Républicain Populaire (MRP), à la création duquel il participe après la guerre de 39-45 et dont il sera président d’honneur.
Sangnier plaide pour la propriété collective ouvrière des moyens de production et entrevoit la fin du capitalisme. « Ce que nous voulons, c’est que le capital ne soit pas le maître du travail, mais que le travail possède le capital et s’en serve pour le bien-être commun », disait-il en 1937. Il ne remet pas en cause la propriété privée, parce que de droit naturel, mais il propose d’instituer à côté une « propriété commune plus fraternelle ».
Dès 1920, il réclame le vote des femmes. En 1927, il appelle de ses vœux la décolonisation, partant du principe de l’égalité des races et du droit de tous les peuples à l’indépendance. Une autre grande cause mobilise ses efforts : celle de la paix entre les peuples. En août 1926, sa propriété de Bierville devient, un mois durant, « Le centre international de la paix » qui réunit avec des évêques et des ministres, quelque 5 000 jeunes venant de 33 pays, dont 60% d’Allemands, dans l’esprit de ce que sont aujourd’hui les JMJ.
Un héritage considérable
Aujourd’hui, Marc Sangnier, dont on cite parmi les disciples Pierre Mendès-France et Jacques Delors, est un peu oublié, injustement car son héritage couvre plusieurs domaines :
- Politique, avec la création de cercles d’études, celle de « La Jeune République », sa contribution à la fondation du PDP, puis du MRP, et ses encouragements aux chrétiens pour s’engager dans l’action politique :
- Économique et social, par son action en matière d’éducation populaire pour la promotion des moins favorisés, par le fait qu’il est un pionnier de l’économie sociale et solidaire, par le souci qui l’anime de fonder des structures de rencontre, comme la première Auberge de Jeunesse à Bierville, en 1929.
- Européen, avec la réconciliation franco-allemande au lendemain des deux guerres mondiales et ses propositions pour l’Union européenne dont il est, avec Aristide Briand, l’un des précurseurs, avant Robert Schumann et Jean Monnet.
- Intellectuel, à travers les journaux d’opinion qu’il a créés : La Démocratie, puis L’Éveil des peuples – et par sa stature d’intellectuel laïc catholique à laquelle Mauriac ne fut pas insensible.
- Religieux, avec son engagement de « chrétien de gauche » fidèle à l’Eglise et obéissant au pape.
8-Le Secrétariat Social de Marseille et les Semaines Sociales de France
1891 : le pape Léon XIII promulgue l’encyclique Rerum novarum, axée
sur la condition ouvrière et invitant à de nouvelles pratiques « pour la juste
solution des problèmes qu’elle pose ». Elle est considérée comme l’acte
fondateur de la doctrine sociale de l’Eglise.
Des universitaires catholiques décident de la faire connaître et de dispenser un enseignement social s’en inspirant. Henri Lorin, directeur de l’Union d’études des catholiques sociaux, et Adéodat Boissard, de l’Université catholique de Lille, tentent d’organiser une session de quinze jours appelée « École pratique des sciences sociales ». Sans succès. Une rencontre avec Marius Gonin, ouvrier typographe à Lyon, qui avait tenté, sans plus de succès, d’y organiser un « cours social », sera décisive. Boissard et lui vont « inventer » les Semaines Sociales sous forme d’université itinérante, pendant une semaine, dans une ville de France.
Les Semaines Sociales à Marseille
La première Semaine Sociale a lieu à Lyon en 1904. Le Secrétariat Social de Marseille, tout juste créé, est présent, dès le début, à la Commission générale des Semaines, en la personne d’Etienne Estrangin.
En 1908, Marseille accueille la 5ᵉ session, après Lyon, Orléans, Dijon et Amiens. Le Secrétariat social se charge de l’organisation. Charles Faivre d’Arcier est le commissaire général, assisté d’Etienne Estrangin, Jules-Léon Perrin, Paul Mélizan et Joseph Ducros. Le thème de la Semaine : « Cours de doctrine et de pratiques sociales ». Parmi les sujets traités : l’idée de justice dans l’économie sociale, en quoi le catholicisme est une religion sociale, et des questions très pratiques toujours actuelles : le chômage, la crise de l’apprentissage et la réforme de l’enseignement professionnel…
En 1930, Marseille reçoit la 22ᵉ session, à l’École de Provence, sur le thème : « Le problème social aux colonies ». Louis Massignon, deux cardinaux, onze évêques, le représentant de la Société des Nations, un délégué du Bureau International du Travail, la Confédération française des professions commerciales, industrielles et libérales, sont présents. On traite de la légitimité de l’expansion coloniale, de la loi française et du statut réel des indigènes dans l’Afrique du Nord, des indigènes dans les pays de colonisation, des milieux islamiques.
La qualité de la participation
En 1956, la 43ᵉ session se tient au Parc Chanot, organisée encore par le Secrétariat Social. Elle est présidée par l’Aixois Charles Flory, président en exercice des SSF. Au programme, « Les exigences humaines de l’expansion économique ». Les « cours doctrinaux » ont disparu, privilégie l’étude des faits. Trois carrefours permettent l’échange avec les auditeurs : l’avenir des jeunes, l’aménagement du territoire et les relations du travail. La qualité de la participation dit bien l’intérêt suscité par les Semaines et leur audience : François Bloch-Lainé, directeur général de la Caisse des dépôts, le président de la CFTC, un membre de la Haute Autorité de la Communauté européenne du charbon et de l’acier, des économistes, des journalistes… Louis Estrangin, fils d’un des fondateurs du Secrétariat social, donne une conférence comme président de la Fédération Nationale des Centres d’Études Techniques Agricoles (FNCETA).
Une veillée religieuse clôture la session, animée conjointement par le P. Jacques Loew et Joseph Folliet, professeur de sociologie aux Facultés catholiques de Lyon et journaliste.
Les prochaines Semaines se préparent
La 87ᵉ session s’est tenue en novembre 2012 à Vincennes sur le thème « Hommes et femmes, la nouvelle donne ». Les membres du Secrétariat social de Marseille – devenu antenne régionale des SSF – y ont participé, avec une quarantaine de Marseillais et Aixois, parmi quelque 3500 auditeurs, dont 500 venus de toute l’Europe, à laquelle les SSF sont de plus en plus ouvertes.
C’est, en effet, une préoccupation majeure des responsables des Semaines d’aborder les sujets dans le contexte européen. Ils étaient 1000 participants européens à la session du centenaire en 2004, qui portait précisément sur les enjeux de cette Europe qui reste encore à inventer. Un réseau s’est constitué, dénommé «IXE» (Initiative de Chrétiens pour l’Europe). Il rassemble une vingtaine de structures en Europe de l’Ouest et de l’Est.
La pertinence des sujets traités au regard de l’actualité, l’expertise et la diversité des conférenciers venant des horizons les plus divers, la qualité des débats, le sérieux des propositions finales confèrent aux Semaines une audience croissante.
Pour se rapprocher encore des régions françaises, la 88ᵉ session se tiendra simultanément dans trois villes : Paris, Lyon et Strasbourg. Elle aura lieu du 22 au 24 novembre 2013 sur un thème commun : « Réinventer le travail ». Le Secrétariat social de Marseille participe à sa préparation et animera, le samedi 23 à Lyon, les ateliers « Travail et précarité ». Eglise à Marseille donnera des informations sur les réunions préparatoires.
9-Le Secrétariat Social de Marseille et la Résistance
Au vu des documents en notre possession, la participation à la Résistance du Secrétariat Social en tant qu’association serait des plus effacées. Celle de ses membres fut importante. Elle se manifesta selon des formes différentes.
Jules-Xavier Perrin faisait partie d’une petite équipe qui se retrouvait le dimanche après la messe chez les Frères dominicains de la rue Edmond Rostand. Elle était animée par les PP. Boulogne, de Parseval et Joseph-Marie Perrin.
La résistance spirituelle
Chargée de diffuser les hebdomadaires chrétiens Sept, puis Temps présent, elle diffusa aussi des feuilles de La Voix du Vatican, dont les messages étaient pris en sténo, puis ronéotypées dans l’étude du père de Jules-Xavier. Trente messages (1500 à 2000 exemplaires par numéro) furent ainsi distribués, clandestinement du fait de leur contenu très anti-nazi, entre juillet 1939 et octobre 1942. La même équipe se chargea de diffuser à Marseille les Cahiers du Témoignage chrétien réalisés à Lyon et tirés à 5000 exemplaires. Le titre du premier numéro, en novembre 1941, dit bien l’esprit de refus de l’idéologie nazie et de la collaboration : « France, prends garde de perdre ton âme ». Il eut un retentissement considérable. La responsabilité de la diffusion incomba d’abord à J.-X. Perrin puis à Malou David. La philosophe Simone Weil, l’historien André Mandouze, le P. Ruby, le journaliste Gabriel Domenech firent partie des diffuseurs. Plusieurs membres de l’équipe, Philippe Dor, Charles Bataillard, les abbés Ardoin et Hermelin, furent arrêtés et déportés en camp de concentration.
La protection et l’encadrement de la jeunesse
Pierre Ruby, le futur P. Ruby, alors avocat, responsable des Scouts, fut nommé par le gouvernement de Vichy délégué régional à la jeunesse, de qui dépendaient différentes structures, notamment les Chantiers de jeunesse, qui devinrent une pépinière de cadres de qualité, civils et militaires. Pierre Ruby, assisté de Georges Grandguillot et Maurice Chaix-Bryan, jouera un double jeu, faisant officiellement son travail, mais permettant également à beaucoup de jeunes d’éviter le Service du travail obligatoire en Allemagne, de rejoindre la Résistance et mettant à l’abri, avec l’aide de Germaine Poinso-Chapuis, de nombreux enfants juifs placés à la campagne. Pierre Ruby fut convoqué par la Gestapo au 425 rue Paradis, mais sut « noyer le poisson », ainsi qu’il le raconta par la suite. Maurice Chaix-Bryan dut se réfugier dans le Massif Central pour éviter d’être pris.
Les trésoriers de la Résistance
La Résistance s’organisait dans la zone Sud maintenant occupée par les Allemands. En novembre 1942, Max Juvenal, avocat aixois, membre de la SFIO, devient délégué régional de la Résistance. Il sollicite Louis Coirard, avoué à Aix et membre du Secrétariat social, pour être le trésorier des Mouvements Unis de la Résistance. Le choix était pertinent, car Louis Coirard était d’un bord politique différent. Sa profession le rendait peu suspect de dissimulation, dans les nombreuses bibliothèques de son bureau, de grandes quantités d’argent liquide en provenance de Londres… Le même scénario se produisit à Marseille, sans concertation. Germaine Poinso-Chapuis, avocate, assura la gestion du cabinet de Gaston Defferre. En février 1943, celui-ci lui demanda de gérer une caisse de la Résistance dans la mouvance du Parti socialiste. Ainsi, à Aix comme à Marseille, des mouvements de la Résistance ont fait le choix judicieux de confier leur argent à ces « catholiques sociaux », sûrs de leur courage, de leur discrétion et de leur honnêteté.
D’autres engagements
D’autres membres du Secrétariat social s’imposèrent parmi les résistants. Adolphe Palidoni, militant jociste, représenta les « Jeunes catholiques » aux « Forces Unies de la Jeunesse Patriotique », organisation de la Résistance créée en octobre 1943. C’est lui qui, lors de la destruction du quartier nord du Vieux-Port par les Allemands en février 1943, avait organisé sous sa responsabilité propre des équipes de jeunes pour aider les habitants du quartier à sauver leurs biens avant la démolition totale. Membre du Secrétariat social, il fut l’un des organisateurs du meeting qui rassembla à Marseille quelque 3000 jeunes catholiques en janvier 1945 pour envisager l’avenir.
L’engagement de ces catholiques dans la Résistance favorisa, avec la fondation du Mouvement Républicain Populaire, la réintégration des chrétiens dans la politique. La Résistance fut aussi l’occasion d’un compagnonnage avec des non-croyants, et du témoignage du primat de la conscience sur l’autorité.
10-Le Secrétariat Social depuis 1945
Après la guerre, le contexte social se trouve profondément modifié en
France.
On retiendra de cette évolution : la création de droits (santé, éducation, logement, travail, garantie d’un revenu minimum), l’intervention massive de l’État et des collectivités locales, relativisant le rôle et l’importance des opérateurs sociaux privés, notamment catholiques, et le caractère de plus en plus technique et professionnel de l’action sociale, qui s’accompagne de la création de nouveaux métiers.
L’action du Secrétariat social depuis 1945 s’inscrit dans ce nouveau contexte. Il va créer des associations et participer directement, ou par l’intermédiaire de ses membres, à leur animation. Il s’efforcera de répondre aux questions soulevées par l’actualité, en particulier sur l’immigration et l’avenir des jeunes.
L’immigration nord-africaine
La reconstruction urbaine et industrielle de la région marseillaise provoque l’appel à une immigration massive de travailleurs célibataires, principalement originaires d’Afrique du Nord. Pour les accueillir et aider à leur intégration, le Secrétariat Social crée, en 1950, l’ATOM (Aide aux Travailleurs d’Outre-Mer), dont le président est Marc Fraissinet. La direction en est confiée à Louis et Simone Belpeer. L’ATOM organise d’abord un « premier-accueil » au port, à la gare et à l’aéroport (aide aux démarches administratives, hébergement, accès au travail), activité qui deviendra, en 1976, monopole de l’Office National d’Immigration. Lorsque arriveront les familles, des postes socio-éducatifs et des services pour adolescents en milieu ouvert seront créés. L’ATOM est également à l’origine des « Centres de préformation » de Marseille où, après une formation de base, les stagiaires sont préparés à des examens professionnels. Les jeunes filles et jeunes femmes bénéficient aussi d’un centre de préformation. La formation des formateurs se développe, avec la mise en place d’une Association pour la diffusion des aides pédagogiques. L’ATOM, qui compta jusqu’à 250 salariés, connut un grand rayonnement en France et en Europe.
L’avenir des jeunes
La période des « Trente Glorieuses » offre aux jeunes de larges perspectives. Il importe de leur proposer des moyens propres à les valoriser sur le plan humain et spirituel. On ne partait pas de rien : les jeunes chrétiens trouvaient à s’épauler dans les différents mouvements de la jeunesse chrétienne, ouvrière, agricole, étudiante, indépendante, voire, à un âge inférieur, les patronages et le scoutisme.
Pour leur préparation à un avenir professionnel, diverses possibilités s’offrent à eux :
- Albert Bertalmio, qui fut membre du Secrétariat social, dirigera, de 1953 à 1983, l’Ecole Libre de Métiers. Il crée une « Association des amis de l’apprentissage » qui intervient dans la gestion pédagogique et technique de 14 centres de formation générés par l’ELM.
- Plusieurs formations professionnelles et techniques privées pour les filles sont mises en place par Mlles Grawitz, Perrimond et Poujade, proches du Secrétariat social. Elles complètent le panel des formations d’origine syndicale (employées et ouvrières) créées dans le sillage de Madeleine Simon, au Centre Stella notamment.
- Sur un autre plan, Germaine Poinso-Chapuis crée, dans la période 1956 à 1975, une trentaine d’institutions pédagogiques, en particulier pour la sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (ARSEA) et les jeunes handicapés (CREAI) : Maurice Chaix-Bryan et Lucien Frédénucci, membres du Secrétariat social, s’y impliquent fortement.
- De même, Adolphe Palidoni crée, en 1974, « Métiérama », salon des métiers et des formations et lieu de rencontre entre les jeunes, les professionnels de l’orientation et de la formation et des responsables d’entreprises. Il en sera le président jusqu’en 1989. Le salon continue aujourd’hui.
Le Centre Chrétien de Réflexion
En 1985, le Secrétariat social devient le Centre Chrétien de Réflexion. À cette époque, le chômage atteint durement les jeunes. Le CCR commandite une enquête : 40% des chômeurs sont des jeunes de moins de 25 ans. Le CCR formule des propositions. En 1993, nouvelle étude sur « les actions concrètes d’insertion professionnelle des jeunes à Marseille ». En 1997, prenant le problème en amont, il travaille sur le rapport Fauroux concernant l’école. D’autres initiatives sont prises : Nicolas Boyadjis crée ainsi une association qui facilite pour les jeunes une activité professionnelle Nicolas Boyadjis (1929-2008) dans les pays au sud de la Méditerranée, dans le cadre des services de la Coopération.
D’autres initiatives sont prises : Nicolas Boyadjis crée ainsi une association qui facilite pour les jeunes une activité professionnelle Nicolas Boyadjis (1929-2008) dans les pays au sud de la Méditerranée, dans le cadre des services de la Coopération.
Des membres du Secrétariat social sont à l’origine de plusieurs instances importantes : l’ASSEDIC (A. Palidoni), l’Union Régionale (et Nationale) lnterfédérale des Œuvres Privées Sanitaires et Sociales (M. Chaix-Bryan et H. Thery), ou y ont exercé les plus hautes responsabilités : ainsi à l’Union Nationale des Associations des Parents d’Élèves des Écoles libres (P. Daniel).
Il s’agit aussi d’études et réflexions menées à la lumière de la doctrine sociale de l’Eglise (« Les samedis matin du CCR ») sur des sujets d’actualité, liés généralement aux thèmes des Semaines Sociales de France dont le Secrétariat social-CCR est devenu l’antenne régionale.
11-Le Secrétariat Social de Marseille fête ses cent dix ans
Le 10 octobre prochain, le Secrétariat Social de Marseille-Centre Chrétien de Réflexion fêtera le 110ᵉ anniversaire de sa fondation. Amis lecteurs d’Eglise à Marseille, vous avez pu lire les dix chroniques qui en racontent l’histoire. Vous serez les bienvenus à cet anniversaire.
D’aucuns pensent peut-être qu’à cent ans, on a fait son temps… Il n’en est rien ! La présence des catholiques sociaux dans la vie publique de notre pays demeure nécessaire aujourd’hui, comme elle le fut en 1903, et avant. S’adaptant à l’évolution du contexte politique, économique et sociologique dans lequel ils œuvraient, leur engagement a varié dans l’histoire. Au cours du XIXᵉ siècle, ils dénoncèrent le libéralisme exacerbé qui présidait à une industrialisation génératrice de beaucoup d’injustice sociale et de misère, et ils tentèrent d’en corriger les effets. La dignité de l’homme au travail était profondément blessée. Leur combat se situait surtout sur le plan des idées et celui de l’action sociale. Par la suite, il devint politique. Encouragés en 1892 par le pape Léon XIII, plusieurs rallièrent la République et la démocratie. Mandats électoraux, propositions de lois, création de journaux et de partis en résultèrent. Par ailleurs, de la seconde moitié du XIXᵉ siècle à la Deuxième Guerre mondiale, l’Eglise fit l’objet d’un violent anticléricalisme auquel ils se confrontèrent. Aujourd’hui, il semble qu’ils aient acquis droit de cité. Leur combat est-il achevé pour autant ? Dans la société comme dans leur mission d’Eglise, la parole et l’action des catholiques sociaux gardent toute leur importance.
L’engagement dans la société
Dans la société, la mission des chrétiens est de rappeler, à temps et à contretemps, l’intangible dignité de la personne humaine : c’est cette orientation qui fonde la doctrine sociale de l’Eglise et qui définit le catholicisme social. Or, de nos jours, cette dignité est menacée.
Sur le plan social, l’évolution des comportements et de la hiérarchie des valeurs mettent l’accent surtout sur le bien-être individuel plus que sur la qualité des liens sociaux, sur la valorisation de l’autonomie personnelle plus que sur la cohésion sociale. Si ces valeurs permettent aux mieux armés de s’en sortir, et même pour certains de considérablement s’enrichir, elles laissent sur le bord du chemin des millions de personnes, enfants et adultes. À Marseille, c’est le quart de la population qui vit au-dessous du seuil de pauvreté.
La dignité de la personne est également menacée par la manipulation du vivant : Atelier sur l’Eau, Marseille, 2006. ainsi, la recherche sur l’embryon, la De droite à gauche: Michel Camdessus, François de Bez, modification du génome humain, le de GPA (gestation pour autrui) et de banalisation de la PMA (procréation médicalement assistée), le mépris de la vie humaine à son origine et à son terme, ou encore, sur un plan philosophique, la théorie du genre largement proposée. Dans tous ces domaines, la parole et l’engagement des catholiques sont nécessaires.
L’engagement dans l’Eglise
La parole de l’Eglise est surtout connue pour ses déclarations morales et doctrinales, en particulier sur ce qui touche au respect de la vie. Cette parole est nécessaire. Mais il ne faut pas oublier les prises de position de l’Eglise dans les domaines économique et social, trop souvent méconnues, qui interpellent responsables politiques et citoyens et leur demandent d’agir pour plus de justice sociale et de solidarité. Ici, l’engagement des laïcs chrétiens est irremplaçable. A eux « d’aller à la périphérie », comme les y invite le pape François.
Que propose le « Secrétariat Social de Marseille, centre chrétien de réflexion » ?
Avant tout, comme le laisse entendre la deuxième partie de son titre, une réflexion sur des problèmes actuels de notre société à la lumière de la pensée sociale chrétienne. Celle-ci n’est pas considérée comme une doctrine immuable, mais comme une pensée vivante capable d’évoluer grâce, entre autres, au travail de groupes dont un certain nombre, en France, se sont fédérés, comme le nôtre, dans le cadre des « Semaines Sociales de France ». Cette réflexion est une occasion d’autoformation et de partage de laïcs avec des laïcs. C’est ainsi que, de 2008 à 2012, une trentaine de rencontres ont été organisées dans le cadre des « Samedis matin du CCR », ainsi que des conférences pour approfondir, à la lumière de la pensée sociale chrétienne, des sujets tels que : « Économie, don et gratuité », « Service public et bien commun », « Le chrétien et la politique », « L’égalité homme-femme ». On en trouve des comptes-rendus dans les rapports d’activité annuels consultables sur le site de l’association : https://secretariatsocialccr.org/. Par ailleurs, dans son rôle d’antenne des Semaines Sociales de France, le Secrétariat Social de Marseille donne toujours une place de choix au thème choisi pour leur rencontre de fin d’année, qui fait toujours l’objet d’un compte rendu détaillé : www.ssf-fr.org/.
François de Bez et Gérard de Belsunce